La brève juridique N°74

La brève juridique N°74 parue le 16 / 11 / 2020

Si rédiger un contrat public n’est pas toujours évident, le comprendre peut l’être encore moins. Aussi, les juridictions administratives prêchent en faveur de l’intelligibilité contractuelle et incitent à la rédaction de clauses claires, précises et non équivoques.  Car tous juriste le sais bien, « Les paroles s'envolent, les écrits restent ».

Aussi, malgré les souplesses consenties par les juges, ne sous-estimez pas le pouvoir de la plume !

 

L’importance de rédiger un cahier des charges

Alors que le seuil de dispense de procédure ne cesse d’être augmenté, il est bon de rappeler ce que peut engendrer la signature d’un simple devis.

Une commune a publié sur internet un document nommé « achat des tables et des chaises – cahier des charge » sur un site dédié à la publication d’appels à la concurrence. Cette publication indiquait que la commune cherchait un prestataire pour la fourniture de 760 chaises, empilables par 10.

Suite à cette publication, le maire de la commune a signé un devis qui portait sur la fourniture de 700 chaises empilables pour une somme avoisinant les 50 000€HT. Sauf que voilà, la commune s’aperçoit que ces chaises ne s’empilent pas si bien, avec une tendance à chanceler dès 5 chaises empilées. Cette dernière a donc saisi le tribunal administratif en se fondant sur la garantie des vices cachés pour demander la résolution du contrat.

Les premiers juges ont estimé que le devis établi par le fournisseur des chaises faisait suite à l’avis d’appel à la concurrence. Or, les juges d’appel concluent que le document mis en ligne nommé comme étant le cahier des charges ne saurait être regardé comme une pièce contractuelle au seul motif que le devis a été établi consécutivement à l'appel public à la concurrence.

Cet avis a été lancé selon une procédure adaptée, permettant ainsi de négocier. Il reste que la négociation peut porter sur tous les éléments de l'offre, et notamment en l’espèce sur les caractéristiques techniques des chaises. Les juges de première instance estiment donc que le devis signé et accepté par le maire de la commune, en sa qualité de représentant du pouvoir adjudicateur, doit être regardé comme la seule pièce constitutive du marché.

Cela étant dit, oui les chaises sont difficilement empilables, mais pour autant elles assurent leur fonction première : permettre de s’asseoir. Ainsi, les juges de première instance et d’appel s’accordent à dire que les chaises ne sont pas impropres à leur destination.

Etant donné que seul le devis est contractuel, les juges précisent que le « caractère empilable » était mentionné expressément. Considérant ainsi les circonstances d’établissement du devis les juges concluent que les parties ont entendu indiquer « qu'un nombre substantiel de celles-ci devait pouvoir être empilé sans occasionner de difficultés de manutention ou de stockage».

Ces chaises ne sont donc pas conformes à l'une des principales spécifications convenues contractuellement - être empilées en nombre - la commune a donc subi un préjudice d’usage et peut donc être indemnisée. Le devis a donc ses limites, il convient de rester vigilant sur la définition du besoin et sa contractualisation. Autant veiller à rester maître du jeu en faisant signer le cahier des charges établi par le maître d’ouvrage.

CAA de Nantes, 16 octobre 2020, Commune de St Léger, n°19NT04940

 

L’importance de rédiger les sous-critères de la valeur technique

« Motivée, motivée… » la valeur technique doit rester motivée. C’est le chant des partisans aux marchés publics transparents. Ce même refrain clamé par les juridictions administratives trouve à nouveau écho dans une décision récente rendue par la cour administrative de Lyon.

A l’occasion de son éviction à la passation d’un marché de maîtrise d’œuvre en procédure adaptée pour la réhabilitation d’une école primaire, un groupement d’entreprises dénonce la validité des clauses du règlement de la consultation. Ce dernier conteste notamment le caractère générique et subjectif des critères de la valeur technique (30%), de la composition (10%) et des délais d’exécution (30%), communiqués à l’appui de la présentation de leur offre et de l’analyse des offres opérée par l’acheteur.

S’il est communément admis que le pouvoir adjudicateur est tenu de communiquer la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères aux candidats, car ils impactent le processus de sélection dans l’analyse des critères, il est en revanche, moins notable qu’ils puissent être remplacés par des clauses suffisamment précises écrites au règlement de la consultation.

Aussi, la cour administrative d’appel rejette la requête du groupement d’entreprises évincé, considérant que le règlement de la consultation précisait que « l'offre à remettre par le concurrent était composée notamment d'un mémoire justificatif des dispositions que le candidat envisageait de prendre pour l'exécution du marché, dont une note méthodologique pour chaque étape de la mission » et que l’article dédié au jugement des offres comportait « entre parenthèses, après " valeur technique ", la mention " note cadre méthodologique ". Ce qui suffisait pour permettre aux candidats de prendre la mesure de ce que recouvrait ce critère. Ils devaient par ailleurs indiquer dans leur offre les délais d'exécution de chaque élément de mission, dont les éléments étaient précisés dans le cahier des clauses particulières ».

Ainsi, malgré l’absence de sous-critères, les clauses du dossier de consultation des entreprises sont suffisamment motivées afin de permettre un examen des offres au regard des critères, garantissant l’égalité de traitement des candidats et la transparence des procédures.

Mais n’est-ce pas un moyen pour l’acheteur de s’absoudre de l’obligation de notation et de hiérarchisation des sous-critères ? (Alors même que ces éléments d’appréciation peuvent exercer une réelle influence sur la présentation des offres et sur leur analyse…).

Ainsi, la cour administrative consent plus de souplesse pour les acheteurs, au détriment des informations portées à la connaissance des entreprises.

CAA de Lyon, 02 juillet 2020, Sté Didier D, n°18LY03402

L’importance de rédiger la liste des dérogations au CCAP

Il peut être tentant de se passer de sa rédaction à l’issue d’un CCAP déjà exhaustif. Mais la liste des dérogations au CCAG permet d’éviter toute perte de temps inutile. Preuve en image!

En l’espèce, un syndicat mixte en charge de la gestion des eaux avait prononcé la résiliation d’un marché de maîtrise d’œuvre pour motif d’intérêt général. La société en charge de la mission ordonnancement, pilotage et coordination (OPC) a saisi le tribunal administratif pour contester à la fois la décision et l’absence d’indemnisation en dépit de ce que prévoit le CCAG PI dans son article 33.

A ce stade, soulignons le goût du risque de l’acheteur ! Si le CCAP prévoyait bien l’absence d’indemnisation en cas de résiliation pour motif d’intérêt général, la dérogation à l’article du CCAG n’était pas inscrite. Cette liberté prise par l’acheteur contrevenait à l’article 38 du même CCAG prévoyant cette liste récapitulative des dérogations.

Conséquence de l’absence de la liste des dérogations sur la clause dérogatoire ?

La décision de 1996  M. Philippe Canac a donné l’occasion au Conseil d’Etat de se positionner sur la question. A cette époque lointaine, cette liste emportait des conséquences différentes en fonction du CCAG. Le CCAG Travaux précisait en effet clairement que l’absence du rappel de la dérogation emportait la nullité de la clause dérogatoire. Ce n’était pas le cas des autres CCAG.

La réforme de 2009 a procédé à une uniformisation en supprimant cette précision du CCAG travaux.

Dans la décision de 1996 relatif à un marché de fournitures et services, le Conseil d’Etat, protégeant la liberté contractuelle, a cherché l’intention commune des parties et en conséquence refusé d’annuler la clause malgré l’absence de rappel de la dérogation. La Cour administrative d’appel suit aujourd’hui exactement le même raisonnement :

« D'une part, il résulte clairement des stipulations précitées du marché conclu entre le SIVEER et le groupement conjoint composé notamment de la société Ecobat, et donc de la commune intention des parties, que celles-ci ont entendu exclure toute indemnité de résiliation par le pouvoir adjudicateur, quand bien même cette dérogation au CCAG-PI n'aurait pas été expressément listée par l'article 30 du CCAP. En outre, il ne résulte pas de la seule circonstance que le SIVEER aurait conclu des accords transactionnels avec les autres membres du groupement, que le syndicat ait entendu renoncer à l'application de ladite clause.

La clarté d’une clause dérogatoire acceptée par le titulaire effacerait donc d’un trait le CCAG. Mieux vaut cependant éviter une crise d’angoisse et prendre le temps de rédiger cette liste indigeste de chiffre en bas du CCAP !

CAA de Bordeaux, 28 septembre 2020, Sté Ecobat, n°18BX01906

 

 

 

 

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