La brève juridique N°76

La brève juridique N°76 parue le 18 / 01 / 2021

Nous débutons l’année avec un Code modifié et adapté pour faire face à la crise.

Parmi ces adaptations, il en est une relative à la résiliation afin de considérer les difficultés que peuvent rencontrer les opérateurs économiques. Ainsi, il est établi depuis la publication de la loi ASAP n° 2020-1525 du 7 décembre 2020, que l’acheteur ne peut prononcer la résiliation du marché au seul motif que l'opérateur économique fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire. Cela constitue une avancée supplémentaire vers davantage d’équilibre des relations contractuelles, puisqu’en matière de résiliation, la décision est souvent unilatérale !

 

Ainsi des précisions ont été apportées sur l’année passée et le juge nous en donne quelques clés… Comment justifier la résiliation pour motif d’intérêt général ? Comme résilier pour une irrégularité ? Ou encore comment procéder en cas de défaillance d’un titulaire ? Résiliations… mode d’emploi !

 

Comment justifier la résiliation pour motif d’intérêt général ?

Nouveau motif de recours à un marché sans publicité ni mise en concurrence (suite à la publication de la loi ASAP), l’intérêt général justifie par ailleurs la résiliation d’un contrat de la commande publique par l’acheteur. La décision de la Cour administrative d’appel de Paris est l’occasion de revenir sur le périmètre de cette notion à géométrie variable. 

Pour rappel, la faculté de résiliation unilatérale, exemple type des prérogatives de puissance publique détenues par l’acheteur, suppose certaines conditions. Hormis l’indemnisation du préjudice subi - laquelle peut être aménagée contractuellement -  le recours à cette possibilité implique l’existence d’un vrai motif d’intérêt général.

Une prérogative protégée par la bienveillance du juge.

 « Motifs scientifiques », « résiliation prise dans l’intérêt du service », « difficultés techniques rencontrées en cours d’exécution », « changement de réglementation », sont autant d’exemples justifiant la résiliation pour motif d’intérêt général.  Le motif est largement reconnu par le juge, l’intérêt du service coïncidant souvent avec l’intérêt général.  Par ailleurs, même lorsque l’acheteur omet d’invoquer ce motif comme justifiant la résiliation, le juge se substitue à lui pour l’évoquer comme hypothèse crédible.

Les contraintes budgétaires : un motif valable ?

Le théâtre de la dernière décision mettait au prise la ville de Paris et diverses entreprises spécialisées dans la peinture de mobilier urbain. Face à des difficultés budgétaires la ville a d’abord prononcé la suspension de la tranche ferme puis finalement la résiliation du marché avec ces prestataires.

Utilisant le mécanisme consacré par « Béziers II » ces dernières ont sollicité le juge pour obtenir la reprise des relations contractuelles. Peine perdue, la Cour a jugé que « (…) la ville de Paris pouvait légalement en raison de contraintes budgétaires, motif d'intérêt général, décider de suspendre puis de résilier les marchés en cause dans le présent litige ». 

 

La décision illustre encore le contrôle minimal du juge, qui ne se risque pas à mettre en balance l’intérêt de la collectivité et celui des titulaires du marché.

 

CAA de Paris, 6e chambre 21 juillet 2020, n° 18PA01930, Inédit au recueil Lebon

Comment résilier un contrat entaché d’irrégularité ?

L’équilibre des relations contractuelles tend à être de plus en plus valorisé, la personne publique n’étant pas aujourd’hui libre de rompre les relations contractuelles sans conséquence.

Une communauté d’agglomération a lancé une procédure en appel d’offres pour la fourniture de points lumineux, supports et pièces détachées. Ce marché était divisé en 3 lots qui ont tous été attribués au même titulaire.

Un mois après le début d’exécution des prestations, le pouvoir adjudicateur a décidé de résilier unilatéralement le contrat et ce du fait d’une irrégularité qui entachait la procédure de passation. En cause, le fait d’avoir cité une marque sans intégrer la notion « ou équivalent ».

→ Le principe est le suivant : en tant que personne publique et en vertu des règles générales applicables au contrats administratifs, je peux toujours résilier unilatéralement le contrat pour un motif d’intérêt général. Sous réserve toutefois des droits à indemnité du cocontractant.

Le cas d’espèce apporte des précisions concernant un contrat qui aurait été entaché d’irrégularité.

Le Conseil d’Etat élabore une réflexion spécifique dans le « cas particulier d’un contrat entaché d’irrégularité ». Si l’acheteur résilie de manière unilatérale pour irrégularité du contrat cela doit s’envisager en deux temps.

-           Est-ce que l’irrégularité en cause justifierait que le juge en prononce l’annulation ou la résiliation ? Ainsi dans ce cas, lorsque le contrat est entaché d'une irrégularité d'une gravité telle que, s'il était saisi, le juge du contrat pourrait en prononcer l'annulation ou la résiliation, la personne publique peut, sous réserve de l'exigence de loyauté des relations contractuelles, le résilier unilatéralement sans qu'il soit besoin qu'elle saisisse au préalable le juge. 

-           Qu’en est-il de l’indemnisation ? Le cocontractant de l’administration a le droit à une indemnisation pour la période qui suit la résiliation.

La société peut alors prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, pour la période postérieure à la date d'effet de la résiliation, au remboursement de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité.

En outre si l'irrégularité du contrat résulte d'une faute de l'administration, le cocontractant peut - sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes - prétendre à la réparation du préjudice subi imputable à la faute de l'administration.

Pour les juges du Palais Royal, dans le cas d’espèce la Cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en déduisant que l’absence de la mention « ou équivalent » justifiait la résiliation du contrat. Les juges auraient dû rechercher si cette irrégularité pouvait être invoquée par la personne publique au regard de l'exigence de loyauté des relations contractuelles et si elle était d'une gravité telle que, s'il avait été saisi, le juge du contrat aurait pu prononcer l'annulation ou la résiliation du marché en litige.

→ Retenons donc que toutes les irrégularités ne doivent pas engager la résiliation du contrat. La stabilité des relations contractuelles doit être préservée au maximum.

Si l’acheteur soutient que la société requérante ne peut prétendre à aucune indemnisation au motif que le contrat en litige est un marché à bons de commande sans minimum contractuel, cette demande de substitution de motifs ne peut être retenue pour les raisons évoquées plus avant.

CE, 10 juillet 2020, Société Comptoir Négoce, n°430864

Comment procéder en cas de défaillance du titulaire ?

C’est à l’occasion d’un litige opposant un acheteur public à une entreprise défaillante qui n’a pas remédié aux malfaçons constatées lors de la réception avec réserves d’un marché public de fournitures - en dépit de multiples mises en demeure demeurées infructueuses - que le Conseil d’Etat a apporté des éclaircissements en ce qui concerne le recours aux marchés de substitution et à la résiliation aux torts exclusifs du titulaire.

Sur la faculté de conclure des marchés de substitution :

Le Conseil d’Etat confirme en premier lieu que la faculté de recours aux marchés de substitution constitue l’une des « règles générales applicables aux contrats administratifs » permettant de surmonter l’inertie, les manquements ou la mauvaise foi du cocontractant lorsqu’ils entravent l’exécution des prestations

Il s’agit d’une « règle d’ordre public », non subordonnée à la résiliation du contrat, permettant à l’acheteur d’y recourir même dans le silence du contrat.

La Haute juridiction administrative indique en second lieu que la possibilité pour le titulaire défaillant de contester les marchés de substitution ne le dispense pas d’en supporter la charge même si les marchés de substitution qui ont été conclus n’ont pas permis de réaliser avec succès les prestations attendues.

A cet égard, il est précisé que, si en dépit de la conclusion d’un marché de substitution, l’objet du marché initialement conclu n’a pas pu être réalisé, du fait de graves défaillances du titulaire du marché initial, ce dernier doit réparer « l’entier préjudice subi » par l’acheteur « qui résulte de l’ensemble des frais exposés pour les différents marchés ».

Sur le recours à la résiliation aux frais et risques :

Les magistrats du Palais Royal rappellent que la résiliation aux torts exclusifs du titulaire est également une faculté ouverte à l’acheteur même en l’absence d’une stipulation contractuelle la prévoyant dès l’instant où l’entreprise a commis une faute d’une gravité suffisante.

Par ailleurs, les juges soulignent qu’une telle résiliation ne fait pas obstacle à ce que l’acheteur prononce des pénalités sous réserve qu’elles ne portent que sur la période antérieure à la date de la résiliation.

Conseil d’Etat, CCI D’Ille-et-Vilaine, 18 décembre 2020, n°433386

 

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