La brève juridique N°82

La brève juridique N°82 parue le 12 / 07 / 2021

Avant d’être une exigence juridique, une bonne évaluation des besoins est une condition pratique impérative pour qu’un achat soit effectué dans les meilleures conditions.

 

En matière d’accord cadre, en plus de l’estimation du besoin, se pose également la question de la définition d’un minimum et/ou d’un maximum.

 

En l’occurrence, qui dit « minimum et/ou maximum » dit « engagement contractuel et exigences supplémentaires quant à l’indemnisation et la publicité », c’est ce que tend à rappeler la jurisprudence de ces derniers mois.

 

En matière d’indemnisation : NON, l’acheteur n’est pas obligé de s’engager sur un minimum de commandes !

En matière de publicité : OUI, la valeur estimée doit être publiée, mais qu’en est-il de la valeur maximale ?

 

Qui dit, « pas de minimum », dit « pas d’indemnisation » !

Aussi ambivalent que cela puisse paraître, il est possible en droit de la commande publique de s’engager contractuellement sans donner lieu à l’exécution d’une prestation et sans en ouvrir droit à indemnisation.

Telle est la règle en accord-cadre sans minimum d’achat, même si cela peut encore surprendre les entreprises titulaires de ces contrats.

Dans la jurisprudence traitée, suite à la résiliation d’un lot d’accord-cadre, une société a saisi le juge pour solliciter une indemnité du fait d’une absence de commande dans les derniers mois du contrat.

Pas de minimum, pas d’engagement de commande !

La contractualisation d’un accord-cadre sans minimum n’engage pas l’acheteur public à passer commande auprès de son cocontractant. La Direction des Affaires Juridiques (DAJ) l’a rappelé elle-même, « l’existence ou l’absence de minimum détermine l’étendue des obligations des parties ». En effet, la règlementation prévoit que dans ce type de contrat « le pouvoir adjudicateur a la faculté de prévoir un minimum et un maximum en valeur ou en quantité, ou un minimum, ou un maximum, ou encore être conclus sans minimum ni maximum ».

En l’espèce, le cahier des clauses administratives particulières du marché avait prévu que le marché à bons de commande en litige était "sans seuil". « Dans ces conditions, l'office public de l'habitat n'était pas tenu de passer un montant minimal de commandes au titulaire du lot ».

Pas de commande, pas de préjudice !

La jurisprudence rappelle régulièrement que l’absence de toute obligation de commande (en montant ou en quantité), ne peut donner lieu à l’existence d’un préjudice, car le titulaire ne peut escompter de façon certaine un bénéfice.

C’est pourquoi, la cour administrative d’appel considère que « la circonstance que l'office se soit abstenu de solliciter la société […] jusqu'à la fin du marché, […] n'a dès lors pu lui créer aucun préjudice »

Toutefois, rappelons que la jurisprudence a pu admettre que les frais d’études engagés pour la réalisation de prestations spécifiques ou encore les frais inhérents à la mobilisation du personnel pour l’exécution du marché public soient mis à la charge de l’acheteur.

Pas de préjudice, pas d’indemnisation !

Dans la cadre de la résiliation du contrat engagée par la personne publique, le prestataire réclame une indemnisation. Or, par principe, la résiliation des accords-cadres passés sans minimum, ne donne pas droit à indemnisation, car l’administration ne s’est engagée sur aucun montant de commande. En conséquence, la société requérante n’est pas fondée à réclamer cette indemnisation. Par contre, elle a le droit au règlement d’une facture correspondant à un bon de commande émis régulièrement pour des travaux effectivement réalisés.

Rappelons toutefois qu’un bon contrat repose sur un bon équilibre des contraintes et avantages entre les parties. L’acheteur ne pourra obtenir des offres intéressantes des soumissionnaires que si ces derniers disposent d’un minimum d’engagements de la part de l’acheteur.

CAA de DOUAI, 1ère chambre, 09/02/2021, 19DA01125

Qui dit, « pas de minimum ni de maximum » dit « valeur estimée dans la publicité » 

Dans la lignée de la jurisprudence du Conseil d’Etat les juges de Marseille rappellent que le montant estimatif de l’accord cadre doit apparaitre dans la publicité.

Le principe reste donc le suivant : qui dit « accord cadre sans mini, ni maxi » dit « montant estimatif dans la publicité ».

Dans le cas d’espèce, un syndicat intercommunal a lancé une consultation en appel d’offres ouverts pour un accord cadre, sans minimum ni maximum avec deux lots. Le formulaire standard pour la publication d’avis dans le cadre de la passation de marché public prévoit que doit figurer dans l’avis de marché dans le cas des accords cadre une « estimation de la valeur totale maximale pour la durée totale du lot ».

Donc, il est bien rappelé que s’il est possible de faire un accord cadre sans minimum ni maximum, l’avis de marché doit obligatoirement faire figurer les informations à titre indicatif et prévisionnel, permettant d’apprécier son étendue.

Or dans le cas d’espèce, les rubriques « valeur totale estimée » et « valeur estimée » de chaque lot ne comportent pas les informations requises. Le préfet, qui a saisi le juge, est ainsi fondé à invoquer l’insuffisance de l’AAPC, soit un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

La considération pragmatique de ce principe par le juge.

Cela étant posé, quelles sont les conséquences en cas d’omission du montant estimatif dans la publicité ?

Une fois le vice constaté, le juge peut soit décider de la poursuite de l’exécution, soit inviter les parties à prendre des mesures de régularisation, ou à défaut prononcer la résiliation du contrat (si cela n’engage pas une atteinte excessive à l’intérêt général).

Le juge considère en l’espèce que les informations qui faisaient défaut dans l’avis de publicité étaient à disposition des candidats dans les documents de la consultation. Cela, notamment via le CCTP qui « permettait de renseigner les candidats sur les quantités prévisionnelles et indicatives de configurations qui pourraient faire l’objet d’un bon de commande pendant une année de marché ».

Autrement dit, l’irrégularité qui a entaché la passation des lots en cause a une portée limitée et n’a eu aucune incidence significative sur la présentation des offres des candidats.

→ Le juge conclu alors que la méconnaissance des règles de publicité ne porte pas atteinte à la validité des contrats et n’a pas eu de conséquence significative sur le choix des candidats et donc, n’est pas de nature à entrainer leur annulation.

Précisons par ailleurs que les contrats en litige, étaient à ce moment-là, déjà entièrement exécutés.           

CAA de Marseille, 26/04/2021, 20MA01151, Inédit au recueil Lebon

 

Qui dit, « valeur estimée » dit aussi « valeur maximale » ?

En matière de publicité, il y a des mentions qu’il convient de ne pas oublier…Si au niveau national le Conseil d’Etat s’est penché sur l’indication du montant estimé dans la publicité la Cour européenne quant à elle a été interrogée sur l’information de la valeur maximale des achats envisagés.

Deux régions danoises ont conclu un accord cadre pour l’achat d‘équipements médicaux suite à une procédure ouverte de marché. En l’occurrence, l’avis de marché ne contenait ni la valeur estimée, ni la valeur maximale ou la quantité maximale des produits dont l’achat était prévu.

Suite à la conclusion de l’accord cadre un candidat évincé, estimant que les régions auraient manqué aux obligations de publicité et méconnu les principes d’égalité et de transparence, a saisi la juridiction danoise qui a posé une question préjudicielle à la CJCE.

→ Les principes d’égalité de traitement et de transparence doivent-ils être interprétés en ce sens que l’avis de marché doit contenir des informations sur la valeur estimée des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre ?

La nécessité de communiquer la valeur estimée

Le pouvoir adjudicateur doit mentionner l’ordre de grandeur total estimé du marché, cette information doit être fournie pour chaque lot lorsque le marché est alloti. La référence à un simple « ordre de grandeur » plutôt qu’à une valeur précisément définie, suggère que l’évaluation réclamée au pouvoir adjudicateur peut être approximative.

La directive 2014/24 dispose qu’un accord-cadre a pour objet d’établir, « le cas échéant », les quantités envisagées. En se référant à la locution adverbiale « le cas échéant », cette disposition précise, en ce qui concerne spécifiquement les quantités des produits à fournir, que cellesci doivent, autant que possible, être établies dans un accord-cadre.

La seule interprétation littérale de ces dispositions, n’est pas concluante pour la Cour, afin de déterminer si un avis de marché doit indiquer la valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre.

La nécessité de considérer les principes de la commande publique

La Cour rappelle toutefois, l’obligation du respect des principes d’égalité de traitement et de transparence et considère qu’il ne peut être admis que le pouvoir adjudicateur s’abstienne d’indiquer dans l’avis une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre.

Il en découle que toutes les conditions de la procédure d’attribution soient formulées de manière claire, précise et univoque. Cette information peut figurer soit dans l’avis de marché soit dans le cahier des charges du moment que ce dernier est accessible gratuitement par moyen électronique sans restriction.

L’importance stratégique de mentionner la valeur maximale dans les avis

L’objectif selon les juges européens est de permettre à tous les soumissionnaires de comprendre la portée exacte des modalités de la procédure d’attribution et de les interpréter de la même manière. Pour le pouvoir adjudicateur cela permet d’être en mesure de vérifier effectivement si les offres des soumissionnaires correspondent aux critères régissant le marché en cause.

Pour la Cour, l’absence de valeur maximale contractuelle pourrait conduire l’acheteur à passer des commandes pour un montant beaucoup plus important qu’indiqué dans l’avis de marché et constituer ainsi une utilisation abusive de la technique des accords-cadres. Le risque est donc celui d’une modification substantielle au bénéfice du titulaire par rapport aux conditions initiales de mise en concurrence.

Autrement dit, l’indication par le pouvoir adjudicateur de la valeur estimée ainsi que d’une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre revêt une importance considérable pour un soumissionnaire.

La Cour conclue que l’avis de marché doit indiquer la valeur estimée ainsi qu’une quantité et/ou une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre. Une fois que cette limite aura été atteinte, l’accord-cadre aura épuisé ses effets.

Finalement, le principe de transparence sacralise l’importance de la définition du besoin et de son estimation la plus précise possible. Autant dire que sur des accords-cadres de grandes envergures, notamment pour des centrales d’achats ce ne sera pas chose aisée. Il pourra être tentant de fixer des maximums au sommet, visés aux doigts mouillés ?

CJUE 17 juin 2021 Simonsen & Weel A/S c/ Region Nordjylland og Region Syddanmark, aff. C23/20

 

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