La brève juridique N°84

La brève juridique N°84 parue le 11 / 10 / 2021

 

L’époque contemporaine est marquée par la judiciarisation de la société. Face à ce phénomène, il est apparu nécessaire de « régler les conflits autrement »[1].

C’est dans ce contexte que l’on assiste à l’essor des modes alternatifs de règlement des différends (MARD) parmi lesquels figurent la médiation, la transaction et l’arbitrage.

Pour autant, les MARD demeurent trop souvent méconnus ou négligés lorsque survient un litige avec l’administration, alors même qu’ils présentent des avantages indéniables : gain de temps, coût (souvent) moindre qu’une procédure juridictionnelle, confidentialité…

Par ailleurs, le cadre juridique de ces alternatives à la procédure juridictionnelle s’avère particulièrement souple.

Seront ainsi successivement présentés la médiation, la transaction et l’arbitrage.

La médiation : du débat, jaillit la lumière

Une définition

La médiation est définie comme « Tout processus structuré, quelle qu'en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige »[2].

 

Un cadre

A l’instar de l’ensemble des modes amiables de règlement des différends, l’encadrement de la médiation est relativement souple. En effet, les parties déterminent elles-mêmes avec l’aide du médiateur, la fréquence et le nombre de rencontres, l’ordre du jour de chaque réunion etc.

 

Alors que le principe du contradictoire irrigue l’ensemble de la procédure juridictionnelle[3], la règle de de la confidentialité s’applique dans le cadre de la médiation[4]. A ce titre, une partie peut confier des informations confidentielles au médiateur pour la résolution du différend et lui demander à ce qu’elles ne soient pas communiquées aux autres parties.

S’agissant du médiateur, celui-ci doit disposer de garanties de probité et d’honorabilité, être neutre et impartial comme le précise la Charte éthique des médiateurs dans les litiges administratifs. Dans cette optique, la rémunération du médiateur ne peut pas être variable selon les résultats de la médiation afin d’éviter que l’exercice de sa mission ne soit influencé par des considérations extérieures…

Et des effets

La médiation peut permettre la résolution du différend qui peut se concrétiser, notamment, par la conclusion d’un protocole transactionnel. A l’inverse, la médiation peut aussi conduire à une impasse, au cas où les parties n’auraient pas réussi à s’entendre sur l’issue à donner au litige. Dans ce cas, la saisine du juge demeurera possible. En effet, l’article L.213-6 du Code de justice administrative organise une interruption des délais de recours contentieux et une suspension des prescriptions en cas de recours à la médiation.

La transaction : verba volant, scripta manent

Fruit d’un accord amiable entre les parties, la transaction est un contrat écrit[5] par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître[6].

Les éléments de validité d’une transaction sont les suivants :

  • Compétence/consentement : le consentement des parties doit être libre et non vicié. Ces dernières doivent disposer de la capacité à transiger.

A ce titre, l’assemblée délibérante d’une collectivité territoriale devra adopter une délibération spécifique pour autoriser l’exécutif à transiger dès lors que le montant excède une certaine somme[7].

En ce qui concerne les établissements publics industriels et commerciaux de l’Etat, le recours à la transaction peut être autorisée par décret[8].

 

  • Licéité de l’objet : l’objet de la transaction ne saurait avoir pour effet de méconnaître les règles d’ordre public.

Il en va ainsi notamment en ce qui concerne la renonciation à des prérogatives de puissance publique ou à la délimitation du domaine public[9].

 

  • Existence de concessions réciproques : chaque partie doit consentir des concessions réciproques. Plus précisément, la personne publique ne devra pas accorder de libéralités[10].

 

Conformément à l’article 2052 du Code civil, la transaction a autorité de la chose jugée en dernier ressort entre les parties.

Le contrat étant exécutoire de plein droit, les règles de la comptabilité publique ne sauraient faire obstacle à son exécution[11].

Le juge peut homologuer le protocole transactionnel dans deux hypothèses :

  • Lorsque le protocole a été conclu alors que le litige était pendant devant la juridiction administrative ;
  • Lorsque dans l’intérêt général, la transaction vise à remédier à une situation telle que celle créée par une annulation ou la constatation d’une illégalité qui ne peuvent donner lieu à régularisation, ou lorsque son exécution se heurte à des difficultés particulières.

 

L’arbitrage : une prohibition absolue ?

Régulièrement mis en lumière dans des affaires médiatiques, l’arbitrage n’a pas toujours bonne presse, tant ses contours paraissent occultes et les enjeux économiques, significatifs…

Il s’agit d’une « procédure par laquelle les parties à un contrat décident de faire trancher leur litige par des arbitres qu’elles désignent elles-mêmes et selon une procédure dont elles ont décidé elles-mêmes, et non par une juridiction étatique »[12].

Alors que la Justice doit être rendue au nom du Peuple français[13], l’arbitrage est au contraire synonyme de justice privée, ce qui est susceptible d’instaurer un climat de suspicion voire d’hostilité à son égard.

L’arbitrage n’en est pas pour autant dénué d’intérêts. Loin s’en faut.

En effet, l’arbitrage peut être gage de confiance entre les parties à un contrat mais également de souplesse, d’expertise technique et de célérité[14].

 

Une prohibition de principe…

La prohibition de l’arbitrage pour l’administration a été érigée au rang de principe général du droit par le Conseil d’Etat.

A ce titre, les personnes publiques, y compris celles exerçant une activité industrielle ou commerciale, ne peuvent recourir à l’arbitrage, ni par la voie du compromis, ni par celle de la clause compromissoire, ni pour les litiges de nature commerciale, ni pour ceux qui sont de nature administrative[15].

 

…Et des dérogations ponctuelles

En raison des avantages que peut présenter l’arbitrage, le législateur a prévu plusieurs dérogations ponctuelles, qui sont notamment récapitulées par l’article L.311-6 du Code de justice administrative.

Parmi les dérogations existantes, l’arbitrage est notamment possible pour les litiges ayant trait à l’exécution financière des marchés publics de travaux et de fournitures de l’Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics locaux[16] ou aux marchés de partenariat[17].

Il est à noter que les litiges relatifs aux marchés publics de services ne sont pas arbitrables.

Par ailleurs, le droit international contribue également à de telles dérogations. En effet, la prohibition ne s’applique pas au règlement des litiges relatifs à des contrats commerciaux internationaux, ni aux conventions particulières de règlement des litiges transfrontaliers.

Avec un contrôle juridictionnel ajusté

L’arbitrage n’a pas pour effet de faire échapper le litige à tout contrôle juridictionnel. En effet, le juge peut être amené à contrôler la sentence arbitrale à l’occasion d’un appel dirigé à son encontre ou lors du prononcé de l’exéquatur (si la sentence a été rendue à l’étranger).

 

Lorsque sont en jeu les intérêts du commerce international, deux hypothèses doivent être distinguées :

 

  • Si la sentence arbitrale a été rendue en France et qu’elle met en jeu tant les intérêts du commerce international que les règles impératives du droit public français (règles relatives à l’occupation du domaine public ou à celles du droit de la commande publique), le Conseil d’Etat est compétent pour connaître de l’appel[18].

 

  • Si une telle sentence arbitrale a été rendue à l’étranger, l’appel ne sera pas possible. Néanmoins, la sentence devra bénéficier de l’exéquatur prononcé par le tribunal administratif[19].

 

Que ce soit à l’occasion d’un appel ou lors du prononcé de l’exéquatur, le juge contrôlera la sentence de manière sensiblement analogue.

A cet égard, le juge appréciera la régularité formelle et procédurale de l’arbitrage (arbitrabilité du litige, composition et impartialité du corps arbitral, respect du caractère contradictoire de la procédure…) et le fond de la sentence (existence d’un vice affectant le contrat ab initio, respect des règles d’ordre public telles que l’interdiction de consentir des libéralités, l’aliénation du domaine public ou la renonciation à certaines prérogatives de puissance publique).

En conclusion, les réticences manifestées à l’égard de ce mode alternatif de règlement des litiges en raison de ses présumés défauts demeurent très solidement ancrées. Cependant, les avantages de l’arbitrage peuvent conduire à des admissions timorées et ponctuelles de la part du législateur.

 

Les pouvoirs publics ont ainsi la lourde tâche d’arbitrer : extension de l’arbitrage ou maintien du statu quo… ?

 

[1] Etude adoptée par l’assemblée générale du Conseil d’Etat le 4 février 1993 « Conciliation transaction, arbitrage en matière administrative ».

[3] CE, 12 mai 1961, société La huta n°40674

[7] L’article L.2122-2 du Code général des collectivités territoriales dispose que l’assemblée délibérante peut déléguer au Maire la compétence pour transiger jusqu’à 1.000€ pour les communes de moins de 50.000 habitants et jusqu’à 5.000€ pour les communes de plus de 50.000 habitants. A contrario, si le montant de la transaction excède ces sommes, une délibération ad hoc devra être adoptée.

[11] CE, ass. 6 décembre 2002 cité précédemment.

[12] Conseil d’Etat, 9 novembre 2016 Juridiction administrative et arbitrage international.

[14] Colloque organisé par la Chambre Nationale pour l’Arbitrage Privé et Public du 30 septembre 2009, L’arbitrage et les personnes morales de droit public.

[15] CE, ass. 13 décembre 1957, Société nationale de vente des surplus ; CE, avis 6 mars 1986.

[18] Aux termes de l’article l’article L.321-1 du Code de justice administrative, le Conseil d’Etat est compétent pour connaître, sauf disposition législative contraire, des appels dirigés contre les décisions rendues en premier ressort.

Par ailleurs, il convient de préciser que si la sentence arbitrale met en jeu les intérêts du commerce international mais qu’elle est hors du champ d’application des règles impératives du droit public français, la juridiction judiciaire sera compétente.

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