La brève juridique N°93

La brève juridique N°93 parue le 11 / 07 / 2022

Quand les sources d’indemnisation des préjudices sont plurielles…

Nombreux sont les litiges et les situations (pré)contentieuses auxquels peuvent être exposés les acheteurs, que ce soit vis-à-vis de leur(s) cocontractant(s) ou des tiers au(x) contrat(s)…

Ces situations sont susceptibles de donner lieu à des actions en responsabilité de part et d’autres afin que soient réparés les préjudices dont les protagonistes se prévalent.

Schématiquement, deux fondements de responsabilité peuvent être envisagés :

  • La responsabilité contractuelle lorsque le dommage a pour fondement un contrat ;
  • La responsabilité extra-contractuelle lorsque le litige n’a pas pour fondement un contrat.

A l’aune de ces principes fondateurs du droit de la responsabilité, nous vous proposons de parcourir trois billets d’actualité. Les deux premiers mettent à l’honneur le droit de la responsabilité contractuelle, tandis que le troisième illustre – de manière somme toute audacieuse – la responsabilité extracontractuelle.

 

Le minimum, c’est d’atteindre le montant contractuel de l’accord-cadre !

 

Par un arrêt en date 5 mai 2022, la cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA) a fermement rappelé qu’un acheteur qui n’honore pas le montant minimum d’un accord-cadre, auquel il s’est engagé contractuellement à respecter, doit indemniser le titulaire.

En 2016, un acheteur a confié à une société l’exécution d’un accord-cadre à bons de commande avec minimum pour la réalisation d’une mission de maîtrise d’œuvre.

Un an après l’attribution du contrat, l’acheteur a informé l’entreprise de sa décision d’arrêter les prestations et de résilier l’accord-cadre sans indemnité.

Pour ce faire, l’acheteur s’est fondé sur les stipulations de l’article 20 du CCAG-PI, aux termes duquel l’arrêt des prestations n’emporte aucune indemnisation.

Si ce précédent article n’envisage l’octroi d’aucune indemnisation au bénéfice de l’entreprise, l’article 3.7.5 du même CCAG prévoit quant à lui qu’en absence d’atteinte du montant minimum, le titulaire a droit à une indemnité.

A première vue, les deux articles du CCAG-PI semblaient se contredire : l’article 20 du CCAG concluait ainsi à l’absence d’indemnisation tandis que l’article 3.7.5 l’imposait…

Il ne s’agissait toutefois que d’une contradiction de façade, l’article 20 du CCAG-PI n’excluant pas l’application de l’article 3.7.5…

Par une lecture combinée de ces deux articles, la cour administrative d’appel en déduit que l’acheteur ne pouvait pas résilier le contrat sans allouer une indemnité à l’entreprise dès lors que le montant minimum n’avait pas été atteint.

L’acheteur est donc condamné à indemniser l’entreprise d’un montant égal à la marge bénéficiaire qu’elle aurait réalisée sur les prestations qui restaient à exécuter pour atteindre ce minimum.

Pour accéder à la jurisprudence, veuillez cliquer sur le lien suivant : CAA de BORDEAUX, 7ème chambre (formation à 3), 05/05/2022, 20BX02620, Inédit au recueil Lebon

Pour plus de précisions concernant cette jurisprudence, voir également l’article du Blog Ach@t Solutions.

 

Quelles sont les règles d’indemnisation d’un marché à prix global et forfaitaire ?

 

Par un arrêt en date du 10 juin 2022, le Conseil d’Etat a rappelé les règles d’indemnisation des travaux supplémentaires réalisés par le titulaire d’un marché public conclu à prix global et forfaitaire.

Quelques mots concernant les faits…

En l’espèce une entreprise a réalisé des travaux d’adaptation d’un ouvrage – non prévus au marché – et n’a pas obtenu d’indemnisation… Un litige s’est donc noué – notamment – autour de l’absence d’indemnisation de ces travaux supplémentaires par le maître d’ouvrage.

Il appartenait – notamment – au Conseil d’Etat de déterminer dans quelle mesure le titulaire pouvait prétendre à l’indemnisation des travaux d’adaptation réalisés.

Il paraîtrait injuste – voire insoutenable – de priver l’entreprise d’une indemnisation de certains travaux supplémentaires sous prétexte qu’un marché à prix global et forfaitaire a été conclu.

Il va de soi que les travaux requis ou acceptés – même tacitement – par le maître d’ouvrage doivent être indemnisés[1].

S’agissant des travaux réalisés à l’initiative du titulaire et sans l’assentiment du maître d’ouvrage, les règles se compliquent, le juge considère habituellement que le titulaire ne saurait obtenir une indemnisation – sauf à ce que ces travaux soient indispensables à l’exécution de l’ouvrage dans les règles de l’art et que l’acheteur ne les ait pas refusés.

Les travaux réalisés à l’initiative du titulaire Les règles se compliquent davantage lorsqu’il est question de travaux supplémentaires réalisés sans l’assentiment du maître d’ouvrage.

Le Conseil d’Etat relève que la demande d’indemnisation de l’entreprise avait été rejetée par la CAA car « la totalité de ces travaux n'étaient pas indispensables ». Nous l’avons vu, le caractère « indispensable » des travaux supplémentaires est la condition sine qua non qui permet d’indemniser l’entreprise lorsque ces derniers ont été réalisés à son initiative…

Or, le Conseil d’Etat ajoute que les travaux litigieux avaient été « réalisés à la demande du maître d’ouvrage ». En d’autres termes, ces prestations supplémentaires avaient été réalisées sur ordre du maître d’ouvrage. En conséquence, il n’était pas possible de « conditionner » l’indemnisation de ces travaux à leur caractère indispensable. La CAA a donc commis une erreur de droit !

 

Pour accéder à la jurisprudence, veuillez cliquer sur le lien suivant : Conseil d’Etat, 10 juin 2022, n°451334

 

Action en responsabilité dans le cadre d’une opération de travaux : auprès de qui ?

 

La Réponse du ministère de l’économie, des finances et de la relance, en date du 17 mai 2022, a précisé la répartition des responsabilités entre le maître d'ouvrage et les différents intervenants à une opération de travaux.

Rappelons d’emblée qu’une opération de travaux peut rapidement se transformer en un « nid à contentieux » puisqu’elle est le siège de l’activité de nombreux acteurs (maître d’ouvrage, maître d’œuvre, constructeurs, contrôleur technique, etc) et que les actions des uns impactent le plus souvent celles des autres…  La multiplicité des intervenants et de leur rôle respectif ne facilite guère l’établissement et la remontée de la chaîne des responsabilités.

La réponse ministérielle clarifie ainsi les règles de responsabilité entre les uns et les autres. Par sa célèbre décision « Région Haute-Normandie »[2], le Conseil d’Etat nous a enseigné que le maître d’ouvrage ne pouvait pas être tenu responsable des préjudices subis par le titulaire du marché dès lors que les dommages dont il fait état sont imputables à l’action d’autres intervenants.

En l'absence de toute faute de la part du maître d’ouvrage, il ne saurait supporter, au titre d'une supposée responsabilité sans faute, les conséquences des agissements des différents intervenants. Il n’appartient donc pas au maître d’ouvrage de jouer le rôle de « guichet unique » auprès de qui la victime se retournerait systématiquement pour obtenir réparation.

Cette règle s’inscrit dans la droite lignée du principe d’interdiction des libéralités, selon lequel une personne publique ne saurait être condamnée à payer une somme qu’elle ne doit pas[3]. Pour autant, il ne faut surtout pas en conclure que le maître d’ouvrage bénéficie d’un collier d’immunité. Loin s’en faut !

Les hypothèses où la responsabilité du maître d’ouvrage peut être actionnée sont en effet nombreuses :

- Faute commise dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché ;

- Faute commise dans l’estimation des besoins ;

- Faute commise dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre ;

- Etc.

Lorsqu’aucune faute ne peut être imputée au MOA, auprès de qui l’entreprise peut obtenir réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis ?

Le titulaire pourra, dans le cadre de tout litige né de l’exécution de travaux publics, rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres intervenants avec lesquels il n'est lié par aucun contrat[4].

Mieux encore… altérant le principe de l’effet relatif des contrats – a l’instar de son homologue judiciaire[5] – le Conseil d’Etat a admis qu’un titulaire puisse se prévaloir de l’inexécution des obligations contractuelles de l’un des intervenants auxquelles il était tenu vis-à-vis du maître d’ouvrage[6] !

 

Pour accéder à la doctrine ministérielle, veuillez cliquer sur le lien suivant Réponse publiée au JO le : 17/05/2022 page : 3204

 

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