La brève juridique N°95

La brève juridique N°95 parue le 06 / 03 / 2023

Dans le contexte économique actuel, plus que jamais l’analyse du critère prix est sous les feux de tous les projecteurs. Et si l’acheteur n’est jamais à l’abri d’une erreur, les candidats ne manquent jamais non plus d’imagination pour ajouter leur pierre à l’édifice d’une procédure à risque…


· L’acheteur qui s’aperçoit que sa formule de calcul comporte une erreur et la modifie en cours de consultation encourt-il un risque contentieux ?
· Le candidat qui ne renseigne pas certains prix du BPU peut-il s’attendre à ce que l’acheteur doive l’interroger sur ce point, ou son offre peut-elle / doit-elle être rejetée ?


Ajoutons que l’analyse du critère prix, de par la formule communément mise en œuvre ([offre la moins chère / offre à noter] x note maximale), met particulièrement en lumière la jurisprudence la plus récent de la Cour de cassation sur la notation différente des offres identiques d’une procédure (initiale) à l’autre (de relance) …

Des offres identiques doivent-elles obtenir des notes identiques ?


Zéro prix, zéro pointé !
Un prix à zéro euro, qui n’en a pas rêvé ? Certains acheteurs auront peut-être même déjà reçu ces offres alléchantes de prestations gratuites.


Offre anormalement basse ? Pas nécessairement !


Le juge valide, – en tous cas celui de Besançon – mais sous réserve de respecter un certain formalisme afin de lever toute ambiguïté possible !
Dans l’affaire en cause, le candidat offrait des prestations à titre gracieux mais les documents de la consultation – BPU et DQE vierges – affichaient déjà des lignes de prix à 0 euros. Aussi l’acheteur n’avait-il pas saisi la subtilité et avait considéré que l’entreprise avait tout simplement omis de chiffrer ces éléments.
Rappelons à ce stade que, régularisable ou non, l’acheteur n’est jamais tenu d’inviter les auteurs d’offres irrégulières à régulariser leurs offres.
Aussi l’acheteur avait-il disqualifié l’offre en l’espèce.
Un contentieux plus tard, le juge nous répond que cette élimination était justifiée au regard de deux précisions.


La première : « aucun autre élément de l’offre de la société requérante ne précisait qu’il s’agissait de prestations gratuites (…) Il en résulte que la ville ne pouvait déduire sans ambiguïté de son BPU et du DQE que la société entendait rendre les prestations attachées à ces prestations gratuites ». Autrement dit, s’il est possible de présenter des prestations gratuites, il faut le faire très clairement car rien ne va de soi !


Une reprise listée des prestations gratuites au sein ou en annexe du mémoire technique, peut-être ? Les acheteurs désireux d’éviter aux petites entreprises de trébucher seraient bien inspirés d’ajouter, dès à présent, une
invitation de cet acabit au sein de leurs règlements de consultation.


Deuxième précision : « la ville n'était pas tenue de demander des éclaircissements sur ce point à la société ». Cela allait de soi, mais disons que le Tribunal considère jusqu’au bout que ce qui va sans dire va mieux en
le disant !


TA Besançon, 17 janvier 2023, n° 2202100


Si le prix avait une erreur, l’erreur aura-t-elle un prix ?
La méthode de notation du critère prix, la formule type employée, n’est pas nécessairement communiquée aux entreprises candidates. Mais cette absence de publicité obligatoire n’implique évidemment pas que le pouvoir adjudicateur peut en changer en cours de consultation !

En effet, s’il en allait autrement, le pouvoir adjudicateur aurait l’opportunité d’adapter sa formule de calcul afin d’avantager tel ou tel opérateur, après avoir pris connaissance du contenu des offres. Et comme bien souvent en droit, peu importe que l’acheteur ne se saisisse pas effectivement de cette opportunité : le simple fait qu’elle existe constitue un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Peu importe, également, qu’il ait eu l’intention de ne corriger qu’une petite erreur matérielle à ses yeux.
La cour administrative d’appel de Paris l’a récemment remis en perspective. Cependant elle a également rappelé que même un manquement grave doit avoir lésé une entreprise évincée pour qu’elle puisse s’en prévaloir. En d’autres termes, le vice doit être à l’origine de son préjudice d’éviction. En l’espèce, l’acheteur en cause avait publié la formule suivante ‘‘ Pondération (50) x
(moyenne des offres) ^3 / (offre du candidat + moyenne des offres) ^3 ’’. Puis, il l’avait modifiée en cours de procédure pour rectifier une erreur dans la formulation mathématique. La formule effectivement mise en œuvre fut ‘‘ Pondération (50) x (moyenne des offres) ^3 / (offre du candidat ^3 + moyenne des offres ^3) ’’. (Les éléments du diviseur ne sont plus additionnés puis élevés à la puissance 3, mais élevés à la puissance 3 et additionnés seulement ensuite.)
L’entreprise évincée a évidemment invoqué ce manquement, mais le juge l’a quand même renvoyée dans les cordes car il s’avère qu’elle aurait tout de même été évincée en obtenant d’encore moins bons résultats si la formule initiale avait été mise en œuvre.
Chose un peu frustrante : l’entreprise, qui ne peut donc pas contester la mise en œuvre de la seconde formule parce qu’elle obtient des résultats plus favorables, ne peut pas non plus contester l’illégalité de la première formule parce qu’elle n’a pas été mise en œuvre
Reste que l’illégalité même de la seconde formule pourrait être discutée. En effet, l’entreprise évincée en l’espèce contestait notamment le faire que la formule ne conduisait pas à attribuer le nombre maximum de points à l’offre la moins chère, mais seulement la meilleure note1.
Malgré ce, le juge balaie l’argument en effectuant une simulation de classement où la note maximale sur le critère prix aurait été obtenue. Concluant que « l'utilisation d'une autre formule attribuant la note maximale au moins disant n'aurait eu aucune incidence sur le classement des offres dès lors que l'écart de la note technique reste en l'espèce décisif quelle que soit la formule de notation appliquée sur le critère du prix ».


CAA Paris, 17 janvier 2023, n° 21PA00875


À offres identiques, notes différentes ?
Après l’annulation d’une première procédure d’attribution par le juge, un acheteur a relancé une seconde consultation à l’issue de laquelle une entreprise a déposé à nouveau une offre qui était identique à la première.
Alors que les deux offres remises successivement par l’entreprise étaient miroirs, les notes qu’elle a obtenues n’étaient en revanche pas les mêmes. Et en l'occurrence, ces notes ont majoritairement été revues à la baisse par rapport à la procédure initiale.
Une différence de notes entre deux procédures, en présence d’une identité d’offres, entraîne-t-elle une irrégularité ?
La Cour de cassation considère que « la seule différence de notes obtenues entre une première candidature et une seconde, identique à la première, à un appel d'offres dont la procédure a dû être recommencée, ne peut constituer une discrimination illégale entre les candidats ».
Autrement dit, une simple différence de notes entre les deux procédures ne peut traduire, à elle seule, une rupture d’égalité entre les candidats.
La position de la Cour qui pourrait surprendre au premier abord, se justifie pleinement et s’inscrit dans la droite lignée de la jurisprudence administrative. Il est en effet acquis que l’acheteur bénéficie d’une certaine liberté pour le choix de sa méthode de
notation (CE, 03/11/2014, n°373362).


Vous n’êtes pas convaincu ? Alors prenons un exemple pratique…
Bien que nous ne connaissions pas les mérites respectifs des offres proposées par les autres candidats dans l’affaire en cause, ni la méthode de notation choisie, rappelons qu’un acheteur peut choisir une méthode de notation qui permet d’attribuer 1 L’idée étant donc que l’entreprise la moins chère pourrait n’obtenir que 18/20 au lieu de 20/20, tout en ayant la meilleure note par rapport à ses concurrents. De la sorte, elle « perd » néanmoins deux points.


automatiquement la note maximale au candidat ayant présenté la meilleure offre
(CE, 01/04/2022, n°458793).
Imaginons que l’acheteur ait justement opté pour cette méthode de notation et que l'entreprise concernée ait remis initialement la meilleure offre au titre de chaque critère. Dans ce cas, elle aurait obtenu les notes les plus élevées.
Supposons ensuite qu’un autre candidat ait remis une meilleure offre dans le cadre de la procédure de relance. L'attribution des meilleures notes à ce candidat viendraient mécaniquement réduire les notes obtenues par notre entreprise évincée.
Dans ces circonstances, la différence de notes obtenues par l'entreprise évincée, entre les deux procédures, ne surprendrait aucunement.
Cass. Com., 11 janvier 2023, n°21-10.440

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