La brève juridique N°97

La brève juridique N°97 parue le 04 / 01 / 2024

À l’image des poupées russes, la commande publique est un casse-tête qui peut cacher d’encore plus sombres casse-têtes dans ses méandres. La fin d’année 2023 n’a pas été pour falsifier cette affirmation.


Rétrospective sur les questions de droit les plus « tordues » :
Une modification profonde du contrat décidée de manière unilatérale par l’acheteur serait-elle être « non substantielle » car non issue d’un accord de volonté ?
Une offre qualifiée d’inacceptable peut-elle remettre en cause son rejet si, à l’occasion d’une relance, l’acheteur augmente son budget ?
L’entreprise qui fait une proposition technique non obligatoire mais incompatible avec les documents de la consultation doit-elle, ou non, être rejetée ?


Les modifications substantielles, enfin une définition ?
Déjà en 2023, les juges internes avaient remis en lumière l’aura sinistre qui nimbe la tentatrice notion de « modification non substantielle » … Oui, celle-là même qui permet de modifier le contrat quel que soit le montant.
Plus qu’intéressante, cette notion est aussi insaisissable, et donc, plus que dangereuse.


Une modification du marché irrégulière pourrait en effet être requalifiée de nouveau marché passé sans publicité ni mise en concurrence.
On peine néanmoins à le définir, le Code de la commande publique ne procédant que par la négative, en excluant certaines modifications comme automatiquement substantielles.
Pour le reste, celles qui ne figurent pas dans son listing ne sont pas nécessairement substantielles ou non substantielles.

Alors, une modification « substantielle », c’est quoi ?
Dans un récent arrêt, la Cour de justice elle-même, interprète authentique de Monsieur le droit de l’Union européenne, est venu nous apporter quelques précisions.
Tout d’abord, la modification substantielle peut résulter tant d’un accord écrit que purement verbal. Dans la droite ligne du principe selon lequel les consentements forment les contrats, un avenant peut donc résulter d’un simple accord de volontés des deux parties.
« Comme la Cour a déjà eu l’occasion de le préciser, par principe, une modification substantielle (…) revêt un caractère consensuel ».
Interprétation étonnante néanmoins, si l’on se focalise moins sur le caractère écrit que sur le caractère commun de la modification d’après la Cour…, ce qui tend à exclure les « modifications » par voie unilatérale (ordre de service, es-tu là ?).

Il serait tout de même prudent de continuer à appliquer les limites du Code tant aux décisions unilatérales modificatives qu’aux avenants, écrits ou non, l’inverse étant aberrant et la plume du juge ayant pu fourcher
Dans un second temps, on notera avec intérêt que la Cour apporte, peut-être malgré elle, des éléments de définition parcimonieux à la notion de modification non substantielle, jugeant que : « S’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 72 de la directive 2014/24, le considérant 107 de cette directive indique que les modifications apportées au contrat sont considérées comme substantielles lorsqu’elles ‘‘attestent l’intention des parties de renégocier les conditions essentielles du marché’’ ».
La modification qui laisse inchangées les conditions essentielles du marché pourra donc être sereinement qualifiée de « non substantielle » et être valablement adoptée, quel qu’en soit le montant.
CJUE, 7 déc. 2023, aff. C-441/22 et C-443/22


Retour vers le futur de l’offre inacceptable
Nous vous le rappelions il y a si peu de temps et si longtemps déjà… « Une offre inacceptable est une offre dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché public ».
Il n’est donc pas question de déclarer inacceptable tout et n’importe quoi !
Mais que se passe-t-il lorsque les crédits budgétaires alloués à l’opération font l’objet d’une augmentation par l’acheteur, et que celui-ci relance une nouvelle procédure ?
La qualification d’offre inacceptable peut-elle être remise en cause, comme si cette éviction dissimulait une certaine mauvaise foi… ?
Dans un arrêt tout chaud de la CAA de Toulouse, l’entreprise évincée avançait justement cet argument. En l’espèce, son offre avait été déclarée irrégulière et la procédure de passation n’avait pas abouti. L’acheteur avait alors augmenté les crédits budgétaires de 14% et lancé une nouvelle consultation. L’offre rejetée rentrait dans cette nouvelle enveloppe…


Mais aux yeux du juge – et c’est bien normal – le futur n’a pas d’incidence sur le passé : on fait du droit, pas de la physique quantique !
En l’occurrence, cela ressort de la définition même (et complète !) de l’offre inacceptable posée par l’Article L2152-3 du Code de la commande publique : « Une offre inacceptable est une offre dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure ». Ou pour le dire comme le juge toulousain : « le caractère inacceptable d’une offre ne s’apprécie, au (…) qu’au regard des crédits budgétaires alloués au titre de la procédure de passation concernée ».


Ledit juge prend également en compte un certain nombre de circonstances pour écarter toute suspicion possible de détournement de procédure :
· Le projet objet de la 2nde consultation est similaire sans être identique ;
· Une augmentation de 14% du montant des crédits budgétaires n’est pas un
écart tel qu’il suffisse à établir le « caractère irréaliste » de la première
enveloppe, allouée à la 1ère consultation.


Il était donc acceptable de qualifier l’offre d’inacceptable

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